Cristina avait décidé de plonger dans la physique des astroparticules après avoir offert ses services de jeune chercheuse intrépide dans la recherche sur les neutrinos, particules italiennes s'il en faut. Le saut avait été aisé. Elle n'avait même pas quitté le laboratoire souterrain, la "grotte", qui accueillait les différentes expériences de physique auxquelles elle avait pu participer les années précédentes. L'expérience que les physiciens avaient appelée XENO1000 et qu'avait rejointe Cristina un an auparavant était installée dans un des trois halls de la grotte du Gran Sasso. C'était devenu rapidement l'une des expériences-phare dédiées à la recherche directe de particules pouvant former l'une des plus mystérieuses matières imaginées par les physiciens : la matière noire, cette matière invisible qui semble pourtant peupler massivement toutes les galaxies.
XENO1000 n'était pas la seule
expérience construite pour détecter directement des impacts très rares de ces
particules furtives de matière noire. Il en existait de très nombreuses sur à
peu près tous les continents, mais elle était l'une des deux seules au monde à
employer ce gaz noble qui lui avait donné son nom: le xénon. L'autre expérience,
qui utilisait exactement le même principe, était installée dans un autre
laboratoire souterrain, au-delà de l'Atlantique.
A l'issue de son post-doc,
Cristina avait eu le choix entre les deux. Elle aurait pu rejoindre ses
collègues américains pour développer leur instrumentation à la pointe, mais
l'attrait des Abbruzes l'avait emporté sur les grandes plaines du Midwest. Elle
aimait le Gran Sasso, elle s'y sentait chez elle. Depuis ses premiers pas dans
le monde de la recherche, c'était le seul endroit où elle avait travaillé, pour
plusieurs expériences différentes. Elle avait tout d'abord consacré son master
puis sa thèse à la recherche sur les neutrinos dits « de Majorana »,
des neutrinos qui seraient leurs propres anti-particules, dans une expérience
qui cherchait à mettre en évidence l'existence d'une désintégration radioactive
très particulière, qui à elle seule démontrerait la réalité des neutrinos de
Majorana. Cristina avait participé activement aux développements expérimentaux
du détecteur au germanium exploité par l'équipe, sans toutefois avoir eu
l'opportunité d'obtenir un résultat convaincant sur cette désintégration
"double-béta sans neutrinos" comme les physiciens l'appelaient.
L'expérience se poursuivait.
Une fois docteure de l'Université
de Milan, elle n'avait eu d'autre choix que de partir durant trois ans au sein
d'une autre collaboration avec un contrat post-doctoral. Elle avait choisi de
rejoindre un groupe français participant à une grande collaboration
internationale, toujours dans le domaine des neutrinos mais cette fois-ci, pour
en étudier les oscillations. Cette expérience avait le bon goût d'être
implantée au labo souterrain du Gran Sasso, ce qui avait été pour Cristina un
critère de choix déterminant, même si elle avait dû s'expatrier de longs mois
dans la banlieue de Paris pour rejoindre l'équipe française.
C'est à l'issue de ces trois
années assez tumultueuses passées entre la France et l'Italie que Cristina put
candidater sur un poste de chargée de recherche à l'institut national de
physique nucléaire, l'INFN. Il ne s'agissait pas d'un poste fléché comme tant
d'autres. Ce poste de chargée de recherche que Cristina décrocha était un poste
"libre", autrement dit, elle avait l'opportunité rare de pouvoir
choisir dans quelle équipe de recherche et sur quelle thématique elle voulait
travailler.
Cristina n'était pas familière avec ce type
de détecteurs au début, elle avait été confrontée dans sa jeune carrière plutôt
à des systèmes de détection fondés sur l'utilisation de semi-conducteurs ou
d'émulsions. L'utilisation de gaz liquide était nouvelle pour elle, mais
Matthew l'avait épaulé dès le début, lui qui était spécialiste de ces types de
liquides si particuliers, et surtout de leur purification.
Cristina avait dû apprendre les fondements
très vite dès son arrivée au sein de l'équipe de l'Institut de Milan qui
participait activement à la collaboration internationale. Car XENO1000 n'était
pas une petite collaboration italienne ni même européenne, elle incluait aussi
de nombreux américains, pour au moins la moitié des 60 chercheurs impliqués,
ainsi que d'autres européens : français, portugais, néerlandais, et trois
chercheurs chinois de l'université de Shangai, mais qu’on ne rencontrait pas
souvent dans la grotte.
La jeune femme aux longs cheveux noirs avait
toujours participé à des grandes collaborations depuis ses premiers travaux de
recherche. Elle aimait côtoyer des collègues d'autres nationalités, surtout
quand ils venaient au labo souterrain, son labo souterrain, qu'elle connaissait
comme sa poche, et qu'elle prenait plaisir à faire visiter lorsqu'ils
arrivaient pour la première fois en Italie.
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