Chapitre 12


La brique était toujours là. Georgi sourit et put pénétrer à nouveau dans ce lieu où se faisait l’une des sciences les plus intéressantes de l’époque mais qui pour lui n’était qu’un charabia auquel il ne comprenait rien du tout.
Il vit tout de suite qu’il y avait de la lumière qui provenait d’une pièce jouxtant le bureau de Pascali. Ce n’était pas bon signe. 

Alessandra allait adresser la parole à Hooper quand il baissa la tête et plongea soudainement sa main pour prendre son portable qui vibrait.
— Merde ! C’est Cristina ! Ils doivent être là ! Venez ! Vite !
Hooper répondit à l’appel de Cristina sans préambule.
— On est dehors, on arrive, ne bouge pas, pas de bruit !
Ils se mirent à courir vers le bâtiment sombre.  
— Vous savez de quel côté elle est la porte de secours du sous-sol ? demanda Hooper à Alessandra
— Non !... Il faut essayer les deux côtés, on n’a pas de temps à perdre, répliqua Alessandra.
Hooper réfléchit deux secondes puis abonda. Il n’avait pas pu demander à Cristina qui aurait ainsi trahi sa présence en répondant. 
— On prend chacun un côté : vous allez à gauche et je vais à droite. Celui qui ne trouve pas d’entrée rejoint l’autre, OK ?
— C’est bon !
En entendant la voix de Tom Hooper, Cristina ressentit une sorte de soulagement, mais l’instant d’après, elle comprit que ce n’était pas lui qui était maintenant dans le couloir à quelques mètres d’elle et elle fut pétrifiée encore d’avantage.
Georgi s’avançait dans le couloir, il craignait qu’il y ait quelqu’un dans la pièce allumée. Il ne sortit pas son revolver, pour pouvoir réagir vite, à la main s’il le fallait. Avant d’arriver au niveau du rai de lumière, il regarda quelques mètres plus loin au niveau du bureau de Pascali. Il put distinguer la présence des scellés. Les flics n’étaient pas encore revenus pour fouiller l’endroit. Un très bon point. Il s’arrêta juste avant la porte du laboratoire de spectrométrie dont l’éclairage à lui seul permettait de distinguer tout le couloir jusqu’à l’escalier du fond. Et il écouta.
Après à peine cinq secondes, Georgi cru entendre un petit bruit, presque imperceptible, qui ressemblait à la vibration d’un téléphone portable, puis plus rien. Il resta sans bouger encore une dizaine de secondes, puis fit irruption dans la salle. Il n’y avait personne ici, hormis un tas d’instruments étranges et des tas de briques de plomb comme celle qui coinçait la porte de secours. Plusieurs instruments électroniques étaient allumés ainsi qu’un ordinateur dont l’écran montrait une figure géométrique qui ne cessait de tourner en rond en changeant de couleur et de forme. Georgi profita d’être là pour jeter un œil rapide et voir s’il ne pourrait pas y avoir des documents écrits qu’aurait pu laisser ici Pascali.
La pièce n’était pas très grande, à peine cinq mètres par quatre, avec juste un plan de travail et deux armoires, le reste de la surface étant occupé par une sorte de gros cube fait de briques de plomb. Il y avait une étiquette jaune avec un trèfle dessiné dessus qui n’était pas très rassurante. C’est au moment où Georgi comprit qu’il s’agissait de substances radioactives qu’il entendit le grincement singulier de la porte de secours.

Tom Hooper était arrivé du bon côté, il avait vu tout de suite l’escalier de secours qui menait à la porte. Elle était entrouverte. En la tirant, il vit de la lumière dans le couloir qui venait d’une des pièces, ce n’était pas le bureau de Pascali, mais la pièce juste avant. Est-ce que c’était le bureau des stagiaires où devait se trouver Cristina ? Il s’avança lentement en faisant des pas de plus d’un mètre, il avait sorti son arme.
Tom était maintenant à deux mètres de la porte ouverte éclairée. Il prit une large inspiration et lança très fort :
— Cristina !? Tu es où ?
— Tom ! Ils sont là ! Je suis dans l’escalier !
Au même instant, la lumière de la pièce s’éteignit et Hooper n’eut pas le temps de réagir, il sentit un coup brutal lui arriver en haut du thorax, comme une sorte de brique très lourde, qui lui tomba aussitôt sur le pied gauche. La double douleur le fit se plier en deux. Il sentit et entendit quelqu’un passer très vite à côté de lui en direction de la sortie de secours. Le gémissement de Hooper résonna dans tout le couloir. Cristina comprit ce qui venait de se passer. Elle descendit immédiatement les quelques marches et appuya sur l’interrupteur pour allumer le couloir. Elle vit la silhouette disparaître à l’autre bout du couloir et Hooper au sol. Elle se mit à hurler :
— Espèce d’enfoiré !
— Il faut le rattraper ! dit Hooper d’une voix haletante. Alessandra est dehors… elle va le croiser !  Vite ! Ça ira pour moi… Fais attention !
Hooper était assis par terre à côté de son arme de service, il avait du mal à respirer et n’était pas du tout en état de courir. Cristina se saisit du pistolet et répondit :
— J’y vais !
Hooper n’eut pas le temps de lui dire que son arme ne pouvait être prêtée à quiconque .Cristina était déjà au niveau de la porte sans savoir ce qu’elle devait faire.

Alessandra marchait d’un pas vif en direction du côté droit du bâtiment, elle n’avait trouvé qu’un mur dépourvu de toute entrée de son côté. Elle avait dépassé la porte principale du Centre d’environ dix mètres quand elle aperçut un individu avec un sac qui courait en provenance de là où elle se rendait pour retrouver Hooper. Elle se jeta contre la façade tout en continuant à avancer vers le bord. Puis elle vit débouler la jeune femme, Cristina Voldoni, visiblement armée. Elle courut vers elle.
— Cristina ! Où est Hooper ?
— Il est sonné mais ça ira ! Il faut le chopper, vite, il est parti par là !
Cristina pointait du doigt avec le pistolet de l’agent du FBI.
Les deux jeunes femmes couraient en direction de la rue dans laquelle avait disparu Georgi.  Elles l’avaient perdu de vue dans l’obscurité de la ruelle.
— Merde ! Il doit avoir une bagnole… Mais où il est ?
Alessandra regardait tout autour, pendant que Cristina s’avançait doucement dans la rue.
Elles entendirent brusquement démarrer le moteur sans voir de lumière, et puis ce fut un bruit de crissement de pneus tout de suite associé à l’odeur de caoutchouc brûlé. La voiture déboita très vite et avança droit vers elles en moins d’une seconde. Cristina eut le réflexe de se jeter sur le côté. Mais aussitôt après elle pointa le révolver de Hooper vers la roue arrière gauche de la Fiat, son doigt était sur la détente, elle tremblait.
La détonation la fit sursauter. Elle n’avait pas encore appuyé. C’était Alessandra qui venait de tirer sur le véhicule en fuite. Elle hurla :
— Faut le suivre !
— Ma voiture et là, devant…, la tienne ?
— Chacune la sienne ! cria Cristina en se précipitant vers le parking.
— OK, au grand carrefour, tu prends à droite, je prends à gauche !!
— Ouais ! répondit en criant Cristina qui était déjà loin d’Alessandra.
Il avait pris la SS17 par la gauche en direction de l’autoroute, évidemment. Alessandra avait visé la roue elle aussi et pensait l’avoir touchée sans pouvoir en être sûre. C’était leur seule chance de pouvoir le rattraper.
Cristina démarra la première et s’engouffra sur la voie rapide à une vitesse totalement interdite. Elle avait bien enregistré le modèle de Fiat du type ainsi que les deux derniers chiffres de sa plaque. Elle aperçut deux cent mètres derrière elle le gyrophare qui devait être celui d’Alessandra.
Cristina se fixa sur la voie de gauche et doublait par la droite quand s’était possible. Il était peu probable qu’il prenne l’autoroute, il perdrait du temps au niveau du péage, donc il resterait certainement sur une des deux nationales, elles bifurquaient juste avant l’échangeur.
Celle de droite, la SS80, allait vers le village de San Vittorino, l’autre était le prolongement de la SS17 et s’éloignait vers Civitatomassa en longeant le Fiume Raio et ses guinguettes.
Cristina roulait à tombeau ouvert, elle passa sous le pont de l’autoroute à plus de 100 km/h, le double de la limite autorisée à cet endroit. Elle pilait à chaque rond-point puis réaccélérait à fond aussitôt même si le prochain rond-point était déjà visible. La route était maintenant dégagée devant elle. Elle n’apercevait plus le gyrophare d’Alessandra qui avait bien tourné à gauche avant le pont.
Mais il n’y avait pas la moindre trace de la Fiat grise.  Elle était dans une longue ligne droite sans aucune voiture dans les quatre cents mètres devant elle. Puis elle arriva à l’entrée du village de San Vittorino. Cristina n’y croyait plus. Elle ralentit pour rouler à une allure normale. Elle continuait à scruter de part et d’autre de la route mais sans conviction.
Elle continua en direction de Teramo sur la route principale ceinturée de barrières de sécurité, arriva très vite dans le bourg de Cermone. Elle se rappela que c’était peu après la sortie du bourg que la route se séparait à nouveau en deux en formant un Y connu pour ses nombreux accidents, vers Teramo à droite et Amatrice et Montereale à gauche.
Elle s’arrêta entre deux grands pins sur le bas-côté herbeux juste devant le panneau annonçant le carrefour. Elle n’aurait pas pu s’arrêter plus loin à cause de la glissière de sécurité qui avait été installée tout du long du Y. Cristina arrêta son moteur puis chercha dans ses contacts le seul qui commençait par un H.

***
Ils l’avaient raté. La Fiat avait été retrouvée calcinée le lendemain matin sur l’autre rive du Fiume Raio, dans un chemin entre Pagliare et Sassa. Allessandra était malheureusement restée sur la rive gauche en suivant la route principale. Les renforts qu’avait demandés Hooper n’avaient pas pu arriver à temps pour retrouver le type qui s’était évaporé dans la nature.
C’était l’effervescence à l’étage du commissariat. Castelli était furieux de voir qu’une témoin ait été impliquée dans l’enquête et qu’elle ait risqué sa peau à la poursuite d’un suspect. Heureusement, il ne savait pas que Cristina s’était saisie de l’arme de service de Tom Hopper. L’agent du FBI avait retrouvé Cristina au Centre juste après la course-poursuite pour qu’elle lui rende son revolver. Tom Hopper avait usé de tout son entregent pour qu’Alessandra oublie ce qu’elle avait vu, à commencer par l’image de Cristina en train de mettre en joue la voiture du fuyard.
Castelli ne serait jamais au courant, c’était largement préférable pour tout le monde et pour la suite de l’enquête. Cristina avait impressionné Hooper par son sang froid et sa détermination. Alessandra lui avait raconté comment s’était comporté la jeune physicienne en sortant du Centre.
Hooper avait ordonné que tout le sous-sol du bâtiment soit hermétiquement fermé et accessible seulement pour la section de la police scientifique, pour pouvoir analyser la moindre surface à la recherche de toutes les traces d’ADN qu’on pourrait trouver.
Cela concernait toutes les zones où le fugitif s’était déplacé, depuis l’escalier extérieur jusqu’à la brique de plomb qui avait donné à Hooper un bel hématome sur le thorax et une fêlure de son gros orteil.
Le domicile de Pascali fut immédiatement mis sous surveillance renforcée. Hooper avait demandé cette protection supplémentaire dès le soir de l’échappée, pendant qu’il se remettait du mauvais coup qu’il avait reçu en attendant le retour de Cristina. Moins de quarante-huit heures après ce soir mouvementé, Cristina était convoquée au commissariat par Hooper sur la demande de Castelli pour comprendre les circonstances de ce qui était arrivé. Il y avait dans le bureau le vieux Castelli, Alessandra Calzolari, Hooper et deux autres policiers que Cristina n’avait encore jamais vus.
C’est Castelli qui prit la parole.
— Ce qui s’est passé lundi soir n’est pas bon pour nous. Nous aurions pu attraper l’individu et nous avons frôlé le pire. Nous ne savons pas s’il était armé mais cela aurait pu se terminer avec un autre mort, voire deux…
Puis il continua en italien en s’adressant directement à Cristina.
— Mademoiselle Voldoni, vous n’auriez jamais dû essayer de prendre en chasse le fuyard en prenant des risques énormes, c’est le travail de la police. Vous devez nous laisser travailler sereinement et rester à l’écart.
Hooper n’avait visiblement rien dit sur le fait qu’il l’avait envoyée dans le bureau de Pascali le matin puis, le soir, laissée courir vers l’individu en prenant son arme, et qu’il l’avait même encouragée à le faire. Cristina saisit très vite qu’elle ne devait pas chercher à se défendre en évoquant l’accord plus ou moins tacite de l’agent du FBI.
Elle fit profil bas, puis elle expliqua, en anglais, l’enchainement de ce qui s’était passé depuis la fin de l’après-midi où elle avait compris que l’accès de secours était probablement resté ouvert. Elle omit ouvertement son incursion du matin dans le bureau de Pascali et expliqua qu’elle avait pensé à ça en se rappelant avoir entendu les stagiaires du sous-sol qui se plaignaient du courant d’air froid qui régnait dans le couloir.
Hooper hocha de la tête ostensiblement sans montrer le moindre rictus, comme pour acclamer ce joli mensonge.
La seule piste qu’on avait désormais était ces quelques mots laissés par Pascali et la preuve concrète de son implication par l’intérêt qu’il suscitait de la part de personnes malveillantes. Il fallait pouvoir décoder ce message, saisir le pourquoi. La disparition de la clé USB était un indice fort d’un lien avec le travail de Donnelly. Toute la question était de savoir si c’était cette clé qu’était venu chercher l’individu ce soir-là ou bien autre chose. Or Pascali n’était visiblement pas en possession de la fameuse clé. Cela voulait-il dire que le ou les individus recherchés ne l’avaient pas récupérée ?
La discussion prit la forme d’un interrogatoire de Cristina orienté sur ce fameux stockage de données que faisait Matthew Donnelly. Hooper voulait savoir exactement quelles étaient les informations sensibles qui pouvaient y figurer. Par informations sensibles, il pensait à tout ce qui pouvait intéresser toutes les personnes faisant le même type de recherches que XENO1000.
— Est-ce que c’est Matthew Donnelly qui s’occupait de la fourniture du xénon liquide pour la collaboration ? demanda Hooper à Cristina.
— Oui, c’était lui.
— Est-ce qu’il pouvait stocker sur sa clé des informations d’ordre commerciales, comme des contrats, des devis, des offres de prix ou d’autres éléments de ce type ?
— Je pense que Matthew conservait tout, y compris ces emails, qu’il sauvegardait régulièrement sous forme de dossiers archivés. Donc, oui, je pense que ça implique également tout ce qui concerne nos relations passées et présentes avec les fournisseurs de gaz.
— Avec Grüber&Thorp ?
— Oui, bien sûr, c’est notre fournisseur actuel, leur maison-mère est en Afrique du Sud à Cape Town. Leur filiale en Europe est à Genève. Mais je crois savoir qu’on a aussi approché les deux autres fournisseurs, le russe et l’américano-saoudien.
— Vous m’aviez dit que la production de xénon était tendue, n’est-ce pas ?
— Oui… répondit Cristina.
— Tendue à quel point ? Est-ce qu’il y a assez de xénon pour les différents utilisateurs dans le monde ?
— Je ne connais pas précisément l’état de la production. Matthew devait connaître ces chiffres… Ce qui est sûr c’est que nous en avons besoin de beaucoup et LXZ encore plus que nous.
— Et à part Donnelly, qui est au courant de ces éléments contractuels avec le fournisseur ?
— Notre boss, Giovanna Marsi… répondit Cristina.
Hooper laissa s’installer un silence de quatre secondes puis lança :
— Il faut que j’aille à Genève et à New York dans les plus brefs délais.
— Agent Hooper, puis-je vous faire une suggestion ? demanda Cristina face aux visages stupéfaits des policiers italiens qui avaient bien compris le terme « suggestion ».
— Une suggestion ? reprit Hooper.
— Oui… je me disais… nous avons au laboratoire souterrain le spectromètre gamma la plus sensible du monde, grâce au bruit de fond radioactif ultra-bas, et… on pourrait l’utiliser pour faire une analyse isotopique des traces laissées par l’individu…
— Quel niveau d’activité est accessible si on fait un comptage de quatre jours ? demanda Hooper.
Les autres policiers ne comprenaient pas un mot du dialogue qui venait de s’engager.
— Je pense qu’on peut descendre jusqu’au microbecquerel….
— Excellent ! Cette idée est géniale, rétorqua Hooper en se tournant vers ses homologues italiens. Nous allons tout de suite faire des frottis de la brique de plomb que l’individu m’a lancée au visage ainsi que de la porte de secours.
— Et de l’arme du crime !… ajouta Cristina.
— Absolument ! La clé à molette, absolument !... poursuivit Hooper avant d’expliquer aux autres l’idée de Cristina :
— L’idée de mademoiselle Voldoni est excellente. Comme l’individu portait très probablement des gants, et que généralement, les gants ne sont pas des accessoires qui sont lavés souvent, des traces sous forme de poussières restent souvent incrustées dessus et peuvent se déposer sur tout ce qu’on touche. Et on peut analyser la radioactivité de ces traces de manière très sensible avec les instruments dont les physiciens disposent ici. Certaines traces de radioactivité peuvent fournir des informations très intéressantes sur l’origine géographique d’un individu…
Cristina avait un peu rougi. Hooper poursuivit :
— Messieurs, merci d’effectuer les prélèvements sur les deux zones dont on est sûr du contact de l’individu, ainsi que d’autres zones proches mais qui n’ont pas pu être en contact avec lui, et également sur la clé à molette… Il faut pouvoir faire une mesure comparative. Mademoiselle Voldoni, pouvez-vous effectuer cette mesure spectrométrique sur ces différents échantillons pendant que je vais rencontrer les gens de Grüber&Thorp à Genève et votre boss à New York ? J’en aurais pour quelques jours je pense.
— Je crois qu’il y a des mesures en cours au labo souterrain, mais on peut toujours les stopper pour lancer de telles mesures importantes.
— Très bien !
Castelli se tourna vers Cristina, l’air penaud, et lui demanda :
— Il faut un support spécial pour faire le prélèvement ?
— Si vous avez un tissu de type électrostatique, qui accroche la poussière, ce serait mieux…
— On doit avoir ça.
— Vous pourrez le mettre dans un petit sac en plastique, cela ne pose aucun problème, les rayons gamma traversent tout ça très facilement…


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