Chapitre 3


Ils commencèrent leur ronde par les salles jouxtant le sas d'entrée, des pièces de rangement de matériel et des salles techniques comme celle dédiée aux systèmes de ventilation et de climatisation. Ils décidèrent de parcourir les trois grands halls dans le sens classique, tout d'abord le hall A, puis le hall B et enfin le hall C.
Le brigadier Fumino découvrit un petit monde véritablement étonnant. Les gardiens n'étaient pas capables de lui expliquer à quoi pouvaient bien servir tous ces instruments, tous ces câbles, tous ces conteneurs et toutes ces baies bourrées d'électronique et d'ordinateurs. Le gendarme se croyait dans l'antre du docteur No des meilleurs James Bond. L'éclairage artificiel du hall qui formait une sorte de grande basilique à la voûte romane post-moderne se reflétait sur le sol en ciment peint en vert et donnait une atmosphère futuriste. Le hall A était le plus petit des trois, mais faisait comme les autres près de dix-huit mètres de hauteur, une vingtaine de mètres de largeur et pas loin de cent mètres dans sa plus grande longueur. Il y avait là plusieurs expériences de recherche de matière noire dont la première s'appelait DAMA, un acronyme qui signifiait simplement "DArk MAtter", matière sombre. Cette expérience s'était rendue célèbre pour avoir clamé depuis de nombreuses années avoir découvert un signal d'interaction de WIMPs, alors que toutes les autres expériences excluaient ce signal avec les paramètres trouvés par DAMA. Mais l'équipe italienne n'en démordait pas et année après année, continuait à clamer la mise en évidence du signal avec toujours plus de précision, sans pour autant proposer une expérience similaire installée dans l'hémisphère sud qui pourrait immédiatement valider leur résultat et leur fournir le prix Nobel. Le détecteur de DAMA ressemblait à un cylindre gros comme une machine à laver, avec plein de fils tout autour. Le brigadier Fumino en fit le tour en regardant si quelqu'un aurait pu se glisser sous la table qui se trouvait à proximité. Il n'y avait rien d'autre que des instruments électroniques et des outils. Le jeune Carlo Nebbia était actuellement en train de travailler sur cette expérience et avait laissé son ordinateur portable à même le sol lorsqu'il avait entendu l'alarme "anoxie".
Le véritable nom de la "matière noire" était "matière sombre" si on traduisait exactement depuis le terme anglo-saxon. Sombre n'était pas connoté comme noir, cela signifiait qu'il était toujours possible d'entrevoir cette matière, comme dans une sorte d'obscurité que les chercheurs tentaient d’éclairer. De fait, la matière noire, sous sa forme la plus communément admise par les chercheurs du monde entier, n'était pas complètement indétectable. On savait depuis 1985 qu'il pouvait exister d'infimes interactions entre les WIMPs et les noyaux atomiques bien plus ordinaires. Et quand on disait infime, c'était vraiment infime, la théorie disait qu'il ne fallait pas attendre plus de quelques collisions de WIMPs par kilogramme de matière par an, non pas parce que les WIMPs n'étaient pas nombreuses, mais parce que la probabilité qu'elles interagissent était extrêmement faible.
A côté des WIMPs, les neutrinos si chers à Cristina étaient des particules qui interagissaient tout le temps, même si en réalité, ils pouvaient facilement et en grand nombre traverser la Terre de part en part. Les neutrinos avaient été imaginés pendant un temps être responsables des effets attribués à la matière noire. D'ailleurs une certaine branche de la physique proposait toujours un tel scénario en inventant de nouvelles familles de neutrinos aux propriétés encore plus déconcertantes que celles des WIMPs. Il y avait les tenants de la matière noire froide, très majoritaires, qui ne juraient que par les WIMPs, et ceux qui préféraient une matière noire chaude, peuplée de ces neutrinos massifs étranges.
Juste derrière l'installation de DAMA se trouvait l'expérience sur laquelle Cristina avait travaillé durant sa thèse de doctorat quelques années plus tôt. C'était une expérience nommée GERMA, qui visait à prouver que les neutrinos pouvaient être leur propre anti-particule, comme le grand physicien Ettore Majorana l'avait prédit dans les années 1930. GERMA prenait moins de place que DAMA, il s'agissait d'un gros détecteur en germanium plongé dans un cryostat pour le refroidir à très basse température avec de l'azote liquide. Le but était de montrer que le germanium-76, un isotope radioactif présent naturellement dans le métal germanium, pouvait se désintégrer en émettant simultanément deux électrons mais sans aucun antineutrino comme on devrait s'y attendre normalement. Cela serait un signe sans équivoque du comportement des neutrinos recherché. Après plusieurs années plongée dans les neutrinos et ayant décidé de s'intéresser dorénavant à la matière noire, Cristina ne s'était pas rangée du côté des chasseurs de matière noire chaude, malgré, ou peut-être à cause de son amour pour le "petit neutre". Elle avait accepté de considérer comme hautement probable l'existence des particules massives de type mauviettes, froides, et s'était donc lancée dans cette quête avec un objectif bien déterminé et quantifié.
Environ vingt mètres derrière cette installation entièrement italienne se trouvait une autre installation qui avait l'air bien plus complexe et était visiblement conduite par de nombreux instituts répartis un peu partout en Europe. Un panneau indiquait quels étaient les protagonistes de cette installation expérimentale dont le nom était bien trouvé : EURECA. Il y avait des allemands, des français, des anglais et des russes. Il fallait espérer que les chercheurs allaient trouver quelque chose, avec un nom pareil. Les gardiens expliquèrent au brigadier que deux des hommes qui étaient là ce soir travaillaient sur cette expérience, l'allemand Werner Höffner et le français Jean-Pierre Habout.
Il s'agissait là encore d'une sorte d'énorme cylindre métallique mais auquel étaient reliés des gros tuyaux souples qui arrivaient à différents réservoirs sur lesquels était inscrit "azote liquide" pour le premier et "hélium" pour le second. Il s'agissait de ce que les physiciens appelaient un cryostat à hélium, une sorte de gros frigo très puissant qui permettait de faire descendre la température jusqu'à des niveaux extrêmement bas, vers -273 degrés Celsius, juste au-dessus du zéro absolu à quelques millièmes de degrés près. Cette expérience cherchait exactement la même chose que l'installation DAMA, mais n'avait encore jamais crié victoire pour le moment. Le détecteur utilisé était très différent du précédent, ce qui apportait une grande différence de sensibilité entre les deux manips. Le détecteur utilisé était un système qui produisait en même temps une petite quantité de chaleur, une petite quantité de lumière et un faible courant électrique quand une particule venait y faire une interaction. Les trois signaux étaient exploités simultanément afin de déterminer à quel type de particule on avait affaire. C'était une méthode très astucieuse et extrêmement prometteuse. Tout était très propre et très soigneusement rangé autour de la grosse cuve qui venait tout juste d'être installée et qui n'était pas encore officiellement en service. Un échafaudage massif à grosses tubulures surplombait l'ensemble jusqu'à la paroi sur le côté. Une petite salle fermée par une grande vitre y était implantée, laissant apparaître un éclairage blanchâtre. On pouvait y accéder par un petit escalier métallique aux marches rugueuses antidérapantes. Le brigadier Fumino prit l'escalier en faisant résonner la structure à chaque pas de ses lourdes chaussures renforcées. Il jeta un regard à l'intérieur de la salle avant même d'être arrivé sur la petite plateforme. Il y avait là une table avec plusieurs écrans d'ordinateur, un fauteuil et des instruments de mesure divers.
Le brigadier se retourna vers les deux gardiens restés à côté du poster expliquant l'expérience et leur fit un signe de la tête. Aucun recoin possible pour se cacher ici.
Les trois hommes reprirent leur ronde et arrivèrent bientôt au fond du hall, ils contournèrent par la gauche la dernière installation qui était entourée d'une chainette rouge et blanc, délimitant une zone qu'il ne fallait apparemment pas franchir. C'était une expérience dédiée à la détection des neutrinos qui s'appelait LVD. Elle touchait presque la paroi formant le coin du hall A. Il y avait, derrière une sorte de gros cube métallique de cinq mètres de côté, une grande armoire de deux mètres de hauteur, qui avait quatre portes. Les trois hommes se regardèrent sans dire un mot. GianCarlo s'approcha lentement de l'armoire puis avança son bras vers l'une des portes, saisit la poignée, la tourna doucement puis tira très vite la porte. Il n'y avait rien d'autre que des oscilloscopes numériques rangés sur des petites étagères, ainsi que des câbles enroulés, assez de câbles pour parcourir au moins deux fois toute la longueur du hall.

***

Ils regardaient dans les moindres recoins à la recherche d'un éventuel intrus qui aurait pu se cacher et attendre pour sortir discrètement du laboratoire. Si quelqu'un essayait de quitter l'un des trois halls ou une petite salle annexe en esquivant subtilement la ronde des trois hommes, il devrait de toute façon passer devant la salle de repos où se trouvaient encore rassemblés les sept scientifiques et le lieutenant Borsi. La ronde du brigadier Fumino et des deux gardiens ressemblait à une sorte de battue au travers d'installations scientifiques plus étranges les unes que les autres. Ils arrivaient enfin au petit couloir qui séparait le hall A du hall B. Le silence n'était couvert que par le bruit de la ventilation, qui était vitale pour tous les locataires du laboratoire souterrain. De l'air pur était extrait au-dessus de la montagne et pompé vers la grotte par deux puissantes pales qui produisaient ce ronronnement si caractéristique, via un conduit spécialement creusé lors de la construction du laboratoire dans les années 1980. Une légère surpression était entretenue dans tous le volume du laboratoire souterrain de manière à ce que l'air vicié du tunnel, plein de gaz d'échappement, ne vienne pas contaminer l'atmosphère relativement purifiée entourant les détecteurs ultra-sensibles. Lorsque GianCarlo expliquait ces détails au brigadier Fumino, ce dernier émis l'idée d'aller inspecter les conduits d'aération. Il y avait effectivement des grandes grilles munies de filtres qui débouchaient des conduits de ventilation et de chauffage. Leur dimension pouvait accueillir un homme de petite taille. GianCarlo resta posté devant la porte du hall B pendant que Marco alla voir avec le brigadier l'état de ces grilles derrière eux à l'autre bout du hall A.
GianCarlo les vit revenir après quatre ou cinq minutes, le brigadier portant un sachet à la main. Juste au-dessous de la grille la plus à gauche, ils avaient trouvé une clé à molette sur le sol, sans que la moindre caisse à outils ne soit à proximité. Les grilles de ventilation étaient tout à fait intactes, ne montrant aucune trace de forçage. Mais la présence de cet outil à cet endroit-là ne laissa pas indifférent le brigadier Fumino qui savait que le moindre indice pouvait être déterminant, et la présence de cette clé à molette au sol dans un laboratoire, où l'un des mots d'ordre était le rangement et la propreté de chaque installation expérimentale, était plutôt intrigante. Il avait donc pris plusieurs clichés de l'objet dans son contexte puis avait chaussé ses gants de latex après avoir sorti un sachet en plastique de sa sacoche de cuir pour ramasser l'éventuelle pièce à conviction.
Ils pénétrèrent ensuite dans le hall B, là où était installée la grande expérience, XENO1000, et là où se trouvait la salle annexe de stockage des bouteilles de gaz où avait eu lieu le drame. XENO1000 était vraiment une installation impressionnante. On voyait avant tout un énorme cylindre gris, comme une grande cuve qu'on aurait pu rencontrer dans une cave vinicole. C'était un grand réservoir contenant uniquement de l'eau et au centre de ce grand réservoir d'eau se trouvait, comme suspendu, un second cylindre, le réservoir de xénon. Ce second réservoir était plus qu'une simple cuve, c'était là encore un cryostat refroidi à très basse température de manière à conserver le gaz sous forme liquide. La couche d'eau de un mètre d'épaisseur qui venait entourer de toute part le cryostat servait de rempart contre la radioactivité naturelle. C'était paraît-il le meilleur bouclier car non seulement c'était très simple à mettre en œuvre, mais c'était aussi le système le plus efficace pour absorber plusieurs types de particules parasites pour le détecteur, comme les neutrons et les photons gamma. Même si la grande profondeur du laboratoire, qui avait 1400 mètres de roches en surplomb, permettait de réduire le flux de muons cosmiques d'un facteur de l'ordre d'un million, le peu qui restaient pouvaient encore créer des interactions dans la roche et les matériaux proches des détecteurs pour produire des neutrons, qui s'avéraient très néfastes dans les détecteurs de WIMPs, car ils produisaient exactement le même type de signal que les WIMPs recherchées. L'eau était un très bon milieu car elle permettait de ralentir considérablement les neutrons jusqu'à les rendre très peu énergétiques et les absorber finalement grâce à son hydrogène.
Les rayons gamma, eux, venaient surtout des désintégrations radioactives de la roche formant les parois du laboratoire. Les Dolomites étaient pourtant réputées pour contenir très peu d'uranium et de thorium, mais la sensibilité exceptionnelle des détecteurs était telle qu'un seul photon gamma pouvait gêner les mesures et créer un "bruit de fond" comme disaient les physiciens. Un mètre d'eau permettait de diviser par 1000 le flux des photons gamma les plus pénétrants. Bien sûr, il en restait toujours un tout petit nombre qui pouvaient atteindre le cœur du détecteur, mais là les physiciens avaient trouvé des astuces pour les reconnaître par rapport aux neutrons ou aux WIMPs.
Le principe de la chambre à projection temporelle au xénon était expliqué sur deux grands panneaux qui étaient disposés devant l'énorme réservoir et destinés à expliquer aux visiteurs, lors des portes ouvertes qui étaient souvent organisées au labo, le fonctionnement de cet étonnant détecteur de particules. Il reposait sur la mesure de deux types de signaux très différents : la particule créait une collision sur un atome de xénon, il se produisait alors un petit éclair de lumière. Une batterie de photomultiplicateurs, des détecteurs de lumière ultra-performants, tapissait le fond de la cuve et récoltait le moindre photon de lumière. En même temps que cet éclair lumineux, des électrons étaient éjectés de l'atome de xénon, ils migraient alors vers le haut de la cuve grâce à l'application d'un champ électrique vertical, puis le faible courant électrique était mesuré. Les physiciens parvenaient, avec ces deux signaux, à déterminer le lieu exact de la collision de la particule incidente en trois dimensions dans le volume du réservoir de xénon. En plus, un photon gamma ne produisait pas la même quantité de lumière qu'une WIMPs pour un nombre d'électron égal. Les physiciens pouvaient ainsi éliminer les "événements" qui étaient dus à des photons gamma issus de la radioactivité naturelle pour ne garder que les autres événements potentiellement attribuables à des interactions de WIMPs. C'était un peu le même principe que ce qu'ils avaient déjà vu dans le hall A avec l'expérience EURECA.
L'énorme réservoir d'eau occupait la moitié de la largeur du hall, il était placé sur la gauche le long de la paroi. La salle de travail était un double algeco situé derrière sur une plateforme formant deux étages. On pouvait voir l'intérieur à travers la vitre. Marco y entra et ressortit à peine quelques secondes plus tard. Personne ne pouvait se cacher dans un endroit aussi exigu où il n'y avait qu'un plan de travail encombré d'écrans et d'ordinateurs portables et trois chaises. Des armoires se trouvaient dans le prolongement de l'algeco, mais c'étaient des armoires de 1 mètre quarante environ. Marco en entrouvrit une pour voir qu'il n'y avait que des outils bien rangés.
Après avoir fait le tour de cette expérience qui était devenue l'expérience phare du laboratoire souterrain depuis la fin de son installation six mois auparavant, le brigadier Fumino fit signe aux deux gardiens qu'il souhaitait retourner dans la salle de stockage des bouteilles de gaz.
Ils le suivirent.

***

Les médecins du SAMU étaient déjà partis en emportant le corps. Il ne restait au sol que les rubans blancs marquant l'emplacement où s’était trouvé le corps. C'était une salle extrêmement dépouillée. Il n'y avait là qu'une quantité assez impressionnante de grosses bouteilles rangées les unes à côté des autres, maintenues par des casiers de bois. Elles n'étaient pas toutes identiques, on les différenciait par la couleur du capuchon qui les fermait.
GianCarlo expliqua au brigadier qu'il y avait stockés ici trois sortes de gaz différents qui étaient utilisés par différentes expériences : il y avait tout d'abord de l'azote, capuchon rouge, utilisé dans toutes les expériences qui avaient besoin de refroidir quelque chose à 77 degrés au-dessus du zéro absolu. Puis il y avait de l'hélium, capuchon gris, qui lui, était utilisé par les expériences comme EURECA qui avaient besoin de refroidir des éléments à seulement quelques degrés ou fractions de degrés au-dessus du zéro absolu. Et enfin, il y avait les bouteilles de xénon, avec leur capuchon vert, qui servaient uniquement à XENO1000 pour remplir le conteneur du cœur du détecteur.
Cela faisait déjà plusieurs années que ces bouteilles de xénon étaient stockées là à 1400 mètres sous terre. Les physiciens étaient obligés de faire cela pour protéger le précieux xénon du rayonnement cosmique naturel qui existait au niveau de la mer. Les neutrons qui étaient produits par les muons cosmiques dans les matériaux denses des bâtiments où étaient fabriqués les bouteillons de xénon pouvaient activer certains isotopes de xénon, les rendant radioactifs. Une fois le xénon activé, il était quasi impossible d'éliminer ces isotopes.
Les matériaux constituant le détecteur devaient être le moins radioactif possible, et quand c'était le xénon lui-même qui était radioactif, on ne pouvait pas s'en sortir. La meilleure solution était donc de stocker en profondeur les bouteilles nouvellement produites pour réduire à son minimum l'activation due aux rayons cosmiques en attendant l'utilisation du gaz.
Il en était tout autre en ce qui concernait les impuretés radioactives qui se retrouvaient dans le xénon mais qui étaient formées d'autres espèces chimiques, comme le krypton ou le radon. Dans ce cas on pouvait espérer pouvoir purifier chimiquement le gaz mais c'était complexe, et c'était tout l'art de Matthew. Les deux bouteillons vides desquels le capuchon s'était retrouvé à terre étaient restés en l'état, on n'y avait pas touché.
Marco s'adressa au brigadier :
— Est-ce que la salle doit rester inaccessible pour l'enquête ?
— Théoriquement oui, est-ce que cela pose un problème ?
— C'est que, je pense que certains utilisateurs auront besoin d'y accéder pour le besoin de leurs manips... L'azote est un consommable pour de nombreuses expériences ici. Il ne faut jamais en manquer sous peine de détériorer certains composants qui doivent toujours rester froid...
— Vous pensez qu'ils seront nombreux dans ce cas ? demanda le brigadier
— Pour les bouteilles de xénon, je ne pense pas que ce soit le cas puisque le conteneur de XENO1000 n'est pas encore rempli, mais concernant les bouteilles d'azote, c'est sûr que ça circule beaucoup, c'est d'ailleurs pour ça qu'elles sont toutes à droite.
— Ah, oui, je n'avais pas remarqué qu'il n'y avait que des rouges de ce côté... remarqua le brigadier
— Je pense que si on ferme la salle, cela risque d'être vraiment problématique, répondit le grand gaillard.
Le brigadier était visiblement ennuyé, il ne savait pas quoi répondre. Après un instant d'hésitation, il demanda aux deux gardiens de rester devant la porte de la salle côté hall tout en scrutant d'éventuels bruits suspects, le temps qu'il aille s'enquérir auprès de son lieutenant de la démarche qu'il fallait suivre dans pareille circonstance. Alberto Fumino repassa au pas de charge devant XENO1000 puis traversa le petit couloir qui séparait les deux halls pour traverser entièrement le grand hall A. On n'entendait que quelques bips qui provenaient d'instruments électroniques. Il pouvait presque entendre ses pas résonner. Mais les parois du laboratoire étaient recouvertes d'un revêtement aphonique qui empêchait tout écho, fort heureusement.
Toutes ces installations scientifiques qui cherchaient à trouver des particules furtives donnaient le tournis à Alberto. Il se demandait comment un tel acte criminel avait pu avoir lieu dans un tel environnement. Il fallait être vraiment culotté pour faire ça dans un lieu clos, et à 1400 mètres sous terre en plus. Etait-ce seulement possible ? Il profita de son trajet jusqu'à la salle de repos, où il retrouva le lieutenant et les sept chercheurs, pour chronométrer le temps qu'il lui avait fallu depuis la salle de stockage. Il avait parcouru au moins 270 mètres au bas mot, en quatre minutes vingt-sept. Il fallait donc environ cinq minutes pour passer de la salle SG jusqu'au sas de sortie et l'intérieur du tunnel routier. C'était à peu de choses près le temps nécessaire pour que le taux d'oxygène passe du taux normal au taux déclenchant l'alarme d'anoxie.
Le coupable – Alberto ne croyait déjà plus au simple accident – aurait très bien pu se retrouver non loin du sas de sortie au moment où l'alarme retentissait. Avant d'expliquer ses dernières analyses à son lieutenant et de lui remettre la clé à molette qu'il avait trouvée au sol devant la grille de ventilation, le brigadier Fumino reçut l'ordre, après avoir expliqué la situation de l'utilisation des bonbonnes d'azote, de diviser la salle en deux, avec d'un côté la zone à ne pas franchir qui représentait tout le côté gauche de la pièce, et de l'autre, le côté des bouteilles rouges, où les chercheurs et techniciens pouvaient accéder pour en retirer, mais avec l'interdiction d'y ajouter de nouveaux objets quels qu'ils furent.
De retour à l'entrée de la salle SG, le brigadier Fumino fit part de la décision du lieutenant aux gardiens restés tranquillement là, mais ne leur dit pas un mot sur sa petite découverte du temps de trajet entre la salle et le sas d'entrée. Après avoir repris leur ronde et être passés le long d'une expérience de mesure de neutrinos produits au CERN au nom d’un héros grec, et qui n'offrait toujours aucune possibilité de cachette, ils parvinrent enfin au fond du hall qui leur ouvrait la porte vers le dernier des trois grands halls du Gran Sasso; le dernier creusé en date, le Hall C.
Le Hall C était plus petit que les deux premiers halls, mais contenait paradoxalement plus d'expériences. Elles étaient tout simplement moins volumineuses. La forme voutée du hall C était agrémentée d'un éclairage légèrement différent de celui des deux autres, plus diffus, bleuté. Cela donnait une atmosphère reposante, qui ferait presque oublier qu'on se trouvait là au fond d'une gigantesque caverne creusée dans la montagne trente ans plus tôt. On y retrouvait les trois types d'expériences déjà rencontrées dans les autres halls : une expérience de recherche de matière noire nommée DarkSide, une autre dédiée à la mesure des neutrinos du CERN, OPERA, et une dernière qui mesurait des neutrinos en provenance du soleil qui s'appelait Borexino. Ces trois grosses expériences étaient entourées de plusieurs autres installations plus petites dont la manip suisse dénommée ASTRA qui était en cours de démontage et dont deux ingénieurs étaient là au moment du drame.
Les trois hommes en firent rapidement le tour et ne décelèrent rien d'anormal.

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