Chapitre 19


Les gars du Bureau avaient bien fait les choses, ils avaient organisé une retransmission vidéo à distance de l’interrogatoire de Fincher. Hooper avait négocié de pouvoir non seulement écouter et voir le suspect en train de répondre aux questions de ses collègues, mais aussi de pouvoir lui-même poser directement des questions.
Cristina avait demandé à Hooper si elle pouvait assister à l’interrogatoire comme une sorte de témoin derrière une vitre teintée, en restant en dehors du champ de la caméra quand Hooper prendrait la parole. Il avait répondu « Je vais voir avec Castelli », puis il l’avait rappelée, elle pouvait, mais juste pour valider en temps réel si besoin que ce que disait Fincher semblait cohérent.
D’entrée de jeu, les collègues de Hooper au centre FBI de Tucson, ils étaient trois, rappelèrent à Bob Fincher ses droits, ça faisait toujours un effet psychologique certain sur la personne interrogée.
Ils se mirent ensuite à évoquer les relations entre scientifiques de différentes expériences menant le même type de recherche. Quels pouvaient être les conflits existant, que ce soit des conflits entre personnes ou bien entre institutions. Fincher semblait à l’aise. Il répondait rapidement à ses interlocuteurs. Puis Tom Hooper entra dans l’interrogatoire en prenant le micro.
— Le 3 avril dernier, vous m’avez dit que vous ne connaissiez personne d’autre dans l’expérience XENO 1000 hormis Matthew Donnelly et une jeune chercheuse italienne que vous aviez aperçue à plusieurs reprises dans le cadre de conférences scientifiques mais sans connaître son nom. Or nous avons la preuve que vous avez eu une correspondance suivie avec Peter Haynes, qui travaille dans l’équipe de Matthew Donnelly, avec Cristina Voldoni et John Kisko. Vous lui avez même proposé un poste de chercheur assistant au sein de votre collaboration LXZ. Reconnaissez-vous ce fait ?
Tom Hooper n’aimait pas tourner trop longtemps autour du pot. Il y était allé direct. Et Bob Fincher lui répondit tout aussi directement :
— Oui, maintenant je me souviens, c’était l’année dernière, effectivement, oui, Peter Haynes… Il travaillait bien avec Donnelly.
— Vous avez eu un problème de mémoire lorsque je vous ai rencontré le 3 avril, c’est ce que vous êtes en train de me dire ?
— Vous savez, je croise de nombreuses personnes, y compris de nombreux jeunes à qui je fais passer des entretiens de recrutement, et j’avais oublié que Haynes faisait partie de l’équipe de Donnelly quand vous m’avez demandé si je connaissais d’autres collaborateurs de Donnelly. Je me suis surtout souvenu de la jolie brune comme vous l’avez rappelé.
Cristina qui s’était assise à côté de Alessandra Calzolari à droite de la caméra, légèrement derrière, soupira en entendant la réponse du quinquagénaire au regard gris et sans âme.
— Pouvez-vous nous dire quelles données Peter Haynes vous a transmises suite à ces échanges ?
— Et bien, il m’a envoyé un curriculum vitae détaillé, une liste de ses publications, ainsi qu’un résumé des travaux qu’il mène actuellement.
— C’est tout ?
— … Oui, c’est à peu près tout, je pense. Il s’agit des éléments habituels que nous demandons aux candidats pour un poste permanent.
— Etes-vous sûrs qu’il ne vous a pas envoyé d’autres éléments, que ce soit par email ou autre ?
— Oui, je suis sûr... En fait, non. C’est vrai. Il y a eu autre chose… Je lui avais demandé un petit service… Je lui avais demandé… je lui avais demandé si il voulait bien me donner quelques renseignements sur notre fournisseur commun de xénon, de manière à pouvoir mieux négocier avec lui, et pouvoir faire baisser les prix pratiqué, ce pour le bénéfice de tous…
— Et Haynes vous a fourni les données commerciales que vous lui aviez demandées ?
— Oui.
— C’était un échange de bon procédés, ou bien un chantage à l’embauche ?
— Le poste que je lui proposais était très incertain, et il le savait dès le début. En aucun cas il ne s’agissait d’un tel chantage !
— Je vois en tous cas que vous avez très vite retrouvé la mémoire, cela fait plaisir à voir et est encourageant pour nous tous qui sommes autour de cette table et devant cette caméra… Bon, et qu’est-ce que Peter Haynes vous a envoyé d’autre ?
— Rien d’autre, après ce que je lui avais demandé.
— Rien du tout ?
— Non…
On entendit brusquement des lourds pas en train de courir dans le couloir du commissariat puis la porte s’ouvrit brutalement sur la bedaine du vieux Castelli : « On l’a ! On l’a ! »
Hooper s’arrêta pour se tourner vers Castelli avec un air interrogatif puis fixa à nouveau la caméra et lança à ses collègues sur place :
— Je vous laisse continuer. Puis il coupa le micro.
— De quoi s’agit-il, inspecteur ? Tout le monde fixait l’inspecteur qui tenait un papier dans la main.
— On sait qui c’est… L’analyse ADN des ongles !
— De quoi ? reprit Hooper
— Le médecin légiste avait prélevé de la matière sous les ongles de la victime. On  a fait faire l’analyse ADN, pour voir. Et c’est un ADN fiché !
— Vous ne m’aviez pas dit que vous aviez lancé cette analyse, bon sang ! Mais pourquoi ne me l’aviez-vous pas dit ?
— On n’avait peut-être qu’une chance sur 10000 pour que ça donne quelque chose…
— Alors, faites-moi voir ça !
Castelli tendit le papier à Hooper, Cristina et Alessandra regardaient les deux hommes. Alessandra se leva pour voir le nom qui était indiqué en gras au milieu de la feuille, Cristina resta assise, n’osant pas s’approcher et cherchant presque à apparaître invisible pour savoir sans avoir à demander.
Matthew Donnelly s’était débattu quand il s’était fait attaqué et en luttant avait probablement griffé son assaillant. Cela avait suffi à conserver quelques milligrammes de peau sous ses ongles et par la suite de pouvoir déterminer de qui il s’agissait via son ADN qui était déjà répertorié dans les bases de données d’Interpol.

— Georgi Ganev, repris de justice bulgare, membre du clan mafieux russe Oznigie Bratva au début des années 1990, alias Pedro Gatoro, alias Gary Grikov… Séjour en prison durant une bonne partie des années 2000. Plus de traces depuis la fin de sa dernière peine en 2011…
Cristina, je vous remercie, vous pouvez disposer, nous n’avons plus besoin de votre présence pour le moment, lança Hooper en se retournant vers la jeune femme qui avait écouté attentivement les noms prononcés par l’agent du FBI d’une manière très distincte.

Une fois Cristina sortie de la pièce sous le regard inquisiteur de Castelli, Hooper sortit son téléphone et composa le numéro de son collègue qui se trouvait toujours sur l’écran en train de questionner Fincher.
— On a du nouveau ici. Des noms… Il faut accélérer tout de suite… Passez-le immédiatement  au détecteur de mensonges. Demandez-lui les choses suivantes en questions fermées : Première question clé : est-ce qu’il connaît la société allemande Teilmann Gmbh, deuxième question clé : est-ce qu’il connaît un dénommé Georgi Ganev, ou bien Pedro Gatoro ou bien Gary Grikov. Troisième question clé : a-t-il déjà eu recours aux services d’un hacker ? C’est bien noté ? Je vous envoie tous les documents dans cinq secondes. Je vous laisse choisir les questions banales à votre convenance évidemment… Ah, oui… J’oubliais…, vous ajouterez en question clé : « Connaissez-vous le prix du xénon payé par XENO1000 ? », histoire de valider un point dans notre affaire…

***

Cristina avait compris que Hooper avait sciemment cité à haute voix les noms et pseudos de l’assassin pour qu’elle les retienne. Elle était sortie du bureau rapidement. Ganev, Gatoro ou Grikov. Presque trop facile à retenir. C’était donc l’homme qui avait tué Matthew et qui était ensuite  venu jusqu’au sous-sol du Centre, celui-là même qu’elles avaient essayé de suivre à tombeau ouvert dans les faubourgs de l’Aquila, elle et Alessandra. Et lui aussi qui avait fait un sale coup au Japon, peut-être pour le compte de Gazkron Fluids… Mais maintenant il fallait pouvoir le prouver.
Cristina voulait trouver le véritable assassin de Matthew, celui qui avait décidé ça. Finalement peu importait de savoir quel vulgaire tueur avait exécuté la tâche ou sous quel nom d’emprunt il l’avait fait.
A peine sortie du commissariat, Cristina appela Kiyochi malgré l’heure extrêmement tardive qu’il était à Tsukuba, presque 4h et demie du matin. Alors qu’elle pensait lui laisser un message vocal, elle eut la surprise d’entendre décrocher après une seule sonnerie.
— Je suis désolée de te réveiller, c’est super-urgent…
— Tu ne me réveilles pas, Cristina ! Je suis aux Etats-Unis pour le boulot, à Washington… Qu’est-ce qui se passe ?
— On a des noms, ça y est ! On sait qui a tué Matthew ! Ils ont fait une analyse ADN de la peau qui se trouvait sous les ongles de Matthew et par chance, cet ADN était fiché. C’est un mafieux, un tueur professionnel. Et il utilise plusieurs identités. Son véritable nom est Ganev, Georgi Ganev, et ses noms d’emprunt sont Pedro Gatoro et Gary Grikov….
— Mais c’est génial ! Il n’y a plus qu’à l’attraper ! Le FBI va lancer un mandat d’arrêt ?
— Je ne sais pas, je n’ai pas pu avoir plus d’information, mais j’imagine que c’est le cas. Je viens juste de quitter les policiers, j’ai juste entendu les noms que je viens de te donner et je crois que je n’aurais pas dû les entendre théoriquement…
— OK... J’imagine que tu aimerais savoir si on peut trouver la trace de ce tueur dans l’affaire du Ice Wall ?
— Je vois que tu comprends toujours tout très vite, toi ! répondit Cristina. En fait, je veux savoir qui est derrière tout ça, évidemment. Et si en plus ça peut permettre de révéler ce qui s’est vraiment passé dans l’affaire du Ice Wall…
— C’est sûr ! Je vais tout de suite transmettre cette info à mon oncle qui est maintenant sur l’enquête pour son journal. Il faudrait que tu m’envoies par écrit les noms que tu m’as cités, pour éviter toute erreur.
— Je les ai juste entendus, je n’ai pas l’orthographe exacte, mais bon, par chance, c’est des noms pas très compliqués, je te les envoie par mail tout de suite.
— OK. Là c’est la nuit au Japon, mais mon oncle aura l’info au matin, d’ici quatre heures environ. Je te tiens au courant des suites. Je peux te mettre en contact directement avec lui si ça ne te dérange pas ? Il parle pas trop mal l’anglais…
— D’accord, sans problème, ça me ferait même plaisir. Merci encore pour ton aide Kiyochi !

***

Le téléphone sonna dans sa poche. Hooper quitta l’écran où il était en train de faire une cartographie du clan mafieux de Ganev.
— Agent Hooper ? C’est Craig Fresco, à Tucson. J’ai les résultats de l’interrogatoire sous détecteur de mensonges. On a du positif.
— Je vous écoute, fit Hooper.
— Alors… Les questions auxquelles les réponses de Bob Fincher apparaissent non sincères avec une probabilité de plus de  95% sont les suivantes : «  Connaissez-vous la société Teilmann Gmbh ? », réponse négative mais non sincère à 98,8% et « Connaissez-vous le prix du xénon payé par XENO1000 ? », réponse négative, non sincère à 97,9%. Et enfin : « Avez-vous déjà eu recours aux services d’un hacker ? » : réponse négative, mais non sincère à 96,5%.
— Et sur les noms que je vous avais donnés ? C’est négatif ?
— Absolument, réponse négative pour les trois noms avec un taux de sincérité très élevé de l’ordre de 99,5%.
— Il ne connait pas l’assassin… Mais il est bien à l’origine du sabotage de la machine de XENO1000… Merci Craig ! Laissez-le libre mais gardez-le à l’œil. Il n’est probablement pas impliqué dans mon affaire mais il risque fort d’être inquiété par les autorités allemandes, en attendant que les scientifiques de l’expérience XENO1000 portent plainte aux Etats-Unis…
Tom Hooper se doutait un peu du résultat de l’interrogatoire, depuis ce que Cristina lui avait raconté au sujet de Fukushima. Cela paraissait de plus en plus évident qu’un scientifique comme Fincher ne pouvait pas aller jusqu’à engager un tueur pour éliminer un rival. Faire saboter intelligemment une machine était pensable, mais faire tuer un confrère… Les éléments que lui avait relaté Cristina étaient il est vrai troublants. On retrouvait le géant gazier Russe au cœur de l’affaire du projet Ice Wall, lui qui était aussi un des rares fournisseurs de xénon. Il fallait trouver un véritable lien existant entre le tueur Ganev, qui s’était forcément rendu dans la zone de Fukushima, et Gazkron Fluids.  Mais il fallait aussi mettre à jour le mobile. On en revenait toujours là. Est-ce que Gazkron Fluids était obligé de supprimer Matthew Donnelly pour mettre la main sur les données du purificateur ? Avaient-ils besoin d’une telle machine pour leurs applications ?
Hooper faisait des recherches dans les deux axes, d’un côté sur les ramifications du clan Oznigie Bratva et d’éventuels liens pouvant exister avec Gazkron et de l’autre sur les activités présentes et futures de Gazkron Fluids qui nécessiteraient de posséder une technologie d’ultra-purification ressemblant à celle inventée par Donnelly.
Hooper avait également récupéré la copie des archives de Donnelly, que lui avait laissée Peter Haynes. La clé des relations entre Donnelly et les russes devait se trouver quelque part dans ces milliers de fichiers…

Avant de poursuivre ses recherches, Hooper envoya un rapport à sa hiérarchie sur l’interrogatoire de Fincher et suggéra de transmettre ces résultats immédiatement aux autorités allemandes qui enquêtaient sur la cyberattaque dont avait été victime Teilmann Gmbh.

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