Les gars du Bureau avaient bien fait les choses, ils avaient organisé une retransmission vidéo à distance de l’interrogatoire de Fincher. Hooper avait négocié de pouvoir non seulement écouter et voir le suspect en train de répondre aux questions de ses collègues, mais aussi de pouvoir lui-même poser directement des questions.
Cristina avait
demandé à Hooper si elle pouvait assister à l’interrogatoire comme une sorte de
témoin derrière une vitre teintée, en restant en dehors du champ de la caméra
quand Hooper prendrait la parole. Il avait répondu « Je vais voir avec
Castelli », puis il l’avait rappelée, elle pouvait, mais juste pour
valider en temps réel si besoin que ce que disait Fincher semblait cohérent.
D’entrée de jeu,
les collègues de Hooper au centre FBI de Tucson, ils étaient trois, rappelèrent
à Bob Fincher ses droits, ça faisait toujours un effet psychologique certain
sur la personne interrogée.
Ils se mirent
ensuite à évoquer les relations entre scientifiques de différentes expériences
menant le même type de recherche. Quels pouvaient être les conflits existant,
que ce soit des conflits entre personnes ou bien entre institutions. Fincher
semblait à l’aise. Il répondait rapidement à ses interlocuteurs. Puis Tom
Hooper entra dans l’interrogatoire en prenant le micro.
— Le 3 avril
dernier, vous m’avez dit que vous ne connaissiez personne d’autre dans
l’expérience XENO 1000 hormis Matthew Donnelly et une jeune chercheuse
italienne que vous aviez aperçue à plusieurs reprises dans le cadre de
conférences scientifiques mais sans connaître son nom. Or nous avons la preuve
que vous avez eu une correspondance suivie avec Peter Haynes, qui travaille
dans l’équipe de Matthew Donnelly, avec Cristina Voldoni et John Kisko. Vous
lui avez même proposé un poste de chercheur assistant au sein de votre
collaboration LXZ. Reconnaissez-vous ce fait ?
Tom Hooper
n’aimait pas tourner trop longtemps autour du pot. Il y était allé direct. Et
Bob Fincher lui répondit tout aussi directement :
— Oui, maintenant
je me souviens, c’était l’année dernière, effectivement, oui, Peter Haynes… Il
travaillait bien avec Donnelly.
— Vous avez eu un
problème de mémoire lorsque je vous ai rencontré le 3 avril, c’est ce que vous
êtes en train de me dire ?
— Vous savez, je
croise de nombreuses personnes, y compris de nombreux jeunes à qui je fais
passer des entretiens de recrutement, et j’avais oublié que Haynes faisait
partie de l’équipe de Donnelly quand vous m’avez demandé si je connaissais
d’autres collaborateurs de Donnelly. Je me suis surtout souvenu de la jolie
brune comme vous l’avez rappelé.
Cristina qui
s’était assise à côté de Alessandra Calzolari à droite de la caméra, légèrement
derrière, soupira en entendant la réponse du quinquagénaire au regard gris et
sans âme.
— Pouvez-vous
nous dire quelles données Peter Haynes vous a transmises suite à ces
échanges ?
— Et bien, il m’a
envoyé un curriculum vitae détaillé, une liste de ses publications, ainsi qu’un
résumé des travaux qu’il mène actuellement.
— C’est
tout ?
— … Oui, c’est à
peu près tout, je pense. Il s’agit des éléments habituels que nous demandons
aux candidats pour un poste permanent.
— Etes-vous sûrs
qu’il ne vous a pas envoyé d’autres éléments, que ce soit par email ou
autre ?
— Oui, je suis
sûr... En fait, non. C’est vrai. Il y a eu autre chose… Je lui avais demandé un
petit service… Je lui avais demandé… je lui avais demandé si il voulait bien me
donner quelques renseignements sur notre fournisseur commun de xénon, de
manière à pouvoir mieux négocier avec lui, et pouvoir faire baisser les prix
pratiqué, ce pour le bénéfice de tous…
— Et Haynes vous
a fourni les données commerciales que vous lui aviez demandées ?
— Oui.
— C’était un
échange de bon procédés, ou bien un chantage à l’embauche ?
— Le poste que
je lui proposais était très incertain, et il le savait dès le début. En aucun
cas il ne s’agissait d’un tel chantage !
— Je vois en
tous cas que vous avez très vite retrouvé la mémoire, cela fait plaisir à voir
et est encourageant pour nous tous qui sommes autour de cette table et devant
cette caméra… Bon, et qu’est-ce que Peter Haynes vous a envoyé d’autre ?
— Rien d’autre,
après ce que je lui avais demandé.
— Rien du
tout ?
— Non…
On entendit
brusquement des lourds pas en train de courir dans le couloir du commissariat
puis la porte s’ouvrit brutalement sur la bedaine du vieux Castelli :
« On l’a ! On l’a ! »
Hooper s’arrêta
pour se tourner vers Castelli avec un air interrogatif puis fixa à nouveau la
caméra et lança à ses collègues sur place :
— Je vous laisse
continuer. Puis il coupa le micro.
— De quoi
s’agit-il, inspecteur ? Tout le monde fixait l’inspecteur qui tenait un
papier dans la main.
— On sait qui
c’est… L’analyse ADN des ongles !
— De quoi ?
reprit Hooper
— Le médecin
légiste avait prélevé de la matière sous les ongles de la victime. On a fait faire l’analyse ADN, pour voir. Et
c’est un ADN fiché !
— Vous ne
m’aviez pas dit que vous aviez lancé cette analyse, bon sang ! Mais
pourquoi ne me l’aviez-vous pas dit ?
— On n’avait
peut-être qu’une chance sur 10000 pour que ça donne quelque chose…
— Alors,
faites-moi voir ça !
Castelli tendit
le papier à Hooper, Cristina et Alessandra regardaient les deux hommes.
Alessandra se leva pour voir le nom qui était indiqué en gras au milieu de la
feuille, Cristina resta assise, n’osant pas s’approcher et cherchant presque à
apparaître invisible pour savoir sans avoir à demander.
Matthew Donnelly
s’était débattu quand il s’était fait attaqué et en luttant avait probablement
griffé son assaillant. Cela avait suffi à conserver quelques milligrammes de
peau sous ses ongles et par la suite de pouvoir déterminer de qui il s’agissait
via son ADN qui était déjà répertorié dans les bases de données d’Interpol.
— Georgi Ganev, repris
de justice bulgare, membre du clan mafieux russe Oznigie Bratva au début des
années 1990, alias Pedro Gatoro, alias Gary Grikov… Séjour en prison durant une
bonne partie des années 2000. Plus de traces depuis la fin de sa dernière peine
en 2011…
Cristina, je
vous remercie, vous pouvez disposer, nous n’avons plus besoin de votre présence
pour le moment, lança Hooper en se retournant vers la jeune femme qui avait
écouté attentivement les noms prononcés par l’agent du FBI d’une manière très
distincte.
Une fois
Cristina sortie de la pièce sous le regard inquisiteur de Castelli, Hooper
sortit son téléphone et composa le numéro de son collègue qui se trouvait toujours
sur l’écran en train de questionner Fincher.
— On a du
nouveau ici. Des noms… Il faut accélérer tout de suite… Passez-le immédiatement
au détecteur de mensonges. Demandez-lui les
choses suivantes en questions fermées : Première question clé : est-ce
qu’il connaît la société allemande Teilmann Gmbh, deuxième question clé : est-ce
qu’il connaît un dénommé Georgi Ganev, ou bien Pedro Gatoro ou bien Gary Grikov.
Troisième question clé : a-t-il déjà eu recours aux services d’un
hacker ? C’est bien noté ? Je vous envoie tous les documents dans
cinq secondes. Je vous laisse choisir les questions banales à votre convenance
évidemment… Ah, oui… J’oubliais…, vous ajouterez en question clé :
« Connaissez-vous le prix du xénon payé par XENO1000 ? »,
histoire de valider un point dans notre affaire…
***
Cristina avait
compris que Hooper avait sciemment cité à haute voix les noms et pseudos de
l’assassin pour qu’elle les retienne. Elle était sortie du bureau rapidement.
Ganev, Gatoro ou Grikov. Presque trop facile à retenir. C’était donc l’homme
qui avait tué Matthew et qui était ensuite
venu jusqu’au sous-sol du Centre, celui-là même qu’elles avaient essayé
de suivre à tombeau ouvert dans les faubourgs de l’Aquila, elle et Alessandra.
Et lui aussi qui avait fait un sale coup au Japon, peut-être pour le compte de
Gazkron Fluids… Mais maintenant il fallait pouvoir le prouver.
Cristina voulait
trouver le véritable assassin de Matthew, celui qui avait décidé ça. Finalement
peu importait de savoir quel vulgaire tueur avait exécuté la tâche ou sous quel
nom d’emprunt il l’avait fait.
A peine sortie
du commissariat, Cristina appela Kiyochi malgré l’heure extrêmement tardive
qu’il était à Tsukuba, presque 4h et demie du matin. Alors qu’elle pensait lui
laisser un message vocal, elle eut la surprise d’entendre décrocher après une
seule sonnerie.
— Je suis
désolée de te réveiller, c’est super-urgent…
— Tu ne me
réveilles pas, Cristina ! Je suis aux Etats-Unis pour le boulot, à
Washington… Qu’est-ce qui se passe ?
— On a des noms,
ça y est ! On sait qui a tué Matthew ! Ils ont fait une analyse ADN
de la peau qui se trouvait sous les ongles de Matthew et par chance, cet ADN
était fiché. C’est un mafieux, un tueur professionnel. Et il utilise plusieurs
identités. Son véritable nom est Ganev, Georgi Ganev, et ses noms d’emprunt
sont Pedro Gatoro et Gary Grikov….
— Mais c’est
génial ! Il n’y a plus qu’à l’attraper ! Le FBI va lancer un mandat
d’arrêt ?
— Je ne sais
pas, je n’ai pas pu avoir plus d’information, mais j’imagine que c’est le cas.
Je viens juste de quitter les policiers, j’ai juste entendu les noms que je
viens de te donner et je crois que je n’aurais pas dû les entendre
théoriquement…
— OK...
J’imagine que tu aimerais savoir si on peut trouver la trace de ce tueur dans
l’affaire du Ice Wall ?
— Je vois que tu
comprends toujours tout très vite, toi ! répondit Cristina. En fait, je
veux savoir qui est derrière tout ça, évidemment. Et si en plus ça peut
permettre de révéler ce qui s’est vraiment passé dans l’affaire du Ice Wall…
— C’est
sûr ! Je vais tout de suite transmettre cette info à mon oncle qui est
maintenant sur l’enquête pour son journal. Il faudrait que tu m’envoies par
écrit les noms que tu m’as cités, pour éviter toute erreur.
— Je les ai
juste entendus, je n’ai pas l’orthographe exacte, mais bon, par chance, c’est
des noms pas très compliqués, je te les envoie par mail tout de suite.
— OK. Là c’est
la nuit au Japon, mais mon oncle aura l’info au matin, d’ici quatre heures
environ. Je te tiens au courant des suites. Je peux te mettre en contact
directement avec lui si ça ne te dérange pas ? Il parle pas trop mal
l’anglais…
— D’accord, sans
problème, ça me ferait même plaisir. Merci encore pour ton aide Kiyochi !
***
Le téléphone
sonna dans sa poche. Hooper quitta l’écran où il était en train de faire une
cartographie du clan mafieux de Ganev.
— Agent
Hooper ? C’est Craig Fresco, à Tucson. J’ai les résultats de
l’interrogatoire sous détecteur de mensonges. On a du positif.
— Je vous
écoute, fit Hooper.
— Alors… Les
questions auxquelles les réponses de Bob Fincher apparaissent non sincères avec
une probabilité de plus de 95% sont les
suivantes : « Connaissez-vous la société Teilmann Gmbh ? »,
réponse négative mais non sincère à 98,8% et « Connaissez-vous le prix du
xénon payé par XENO1000 ? », réponse négative, non sincère à 97,9%.
Et enfin : « Avez-vous déjà eu recours aux services d’un
hacker ? » : réponse négative, mais non sincère à 96,5%.
— Et sur les
noms que je vous avais donnés ? C’est négatif ?
— Absolument,
réponse négative pour les trois noms avec un taux de sincérité très élevé de
l’ordre de 99,5%.
— Il ne connait
pas l’assassin… Mais il est bien à l’origine du sabotage de la machine de XENO1000…
Merci Craig ! Laissez-le libre mais gardez-le à l’œil. Il n’est
probablement pas impliqué dans mon affaire mais il risque fort d’être inquiété par
les autorités allemandes, en attendant que les scientifiques de l’expérience
XENO1000 portent plainte aux Etats-Unis…
Tom Hooper se
doutait un peu du résultat de l’interrogatoire, depuis ce que Cristina lui
avait raconté au sujet de Fukushima. Cela paraissait de plus en plus évident
qu’un scientifique comme Fincher ne pouvait pas aller jusqu’à engager un tueur
pour éliminer un rival. Faire saboter intelligemment une machine était
pensable, mais faire tuer un confrère… Les éléments que lui avait relaté
Cristina étaient il est vrai troublants. On retrouvait le géant gazier Russe au
cœur de l’affaire du projet Ice Wall, lui qui était aussi un des rares fournisseurs
de xénon. Il fallait trouver un véritable lien existant entre le tueur Ganev,
qui s’était forcément rendu dans la zone de Fukushima, et Gazkron Fluids. Mais il fallait aussi mettre à jour le mobile.
On en revenait toujours là. Est-ce que Gazkron Fluids était obligé de supprimer
Matthew Donnelly pour mettre la main sur les données du purificateur ? Avaient-ils
besoin d’une telle machine pour leurs applications ?
Hooper faisait
des recherches dans les deux axes, d’un côté sur les ramifications du clan
Oznigie Bratva et d’éventuels liens pouvant exister avec Gazkron et de l’autre
sur les activités présentes et futures de Gazkron Fluids qui nécessiteraient de
posséder une technologie d’ultra-purification ressemblant à celle inventée par
Donnelly.
Hooper avait
également récupéré la copie des archives de Donnelly, que lui avait laissée
Peter Haynes. La clé des relations entre Donnelly et les russes devait se
trouver quelque part dans ces milliers de fichiers…
Avant de
poursuivre ses recherches, Hooper envoya un rapport à sa hiérarchie sur
l’interrogatoire de Fincher et suggéra de transmettre ces résultats
immédiatement aux autorités allemandes qui enquêtaient sur la cyberattaque dont
avait été victime Teilmann Gmbh.
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