Hooper avait placé son casque sur sa tête pour écouter les moindres variations d’intonation dans la voix de Bob Fincher. L’enregistrement durait une heure trente-six exactement. Fincher avait accepté sans broncher que l’agent du FBI enregistre ses réponses.
— Connaissiez-vous Matthew
Donnelly, de l’expérience XENO1000 ?
— Oui, je l’ai croisé à quelques
reprises. Toute la communauté a été profondément choquée quand on a appris ce
qui s’était passé au LNGS. C’est quelque chose d’inimaginable… J’ai rencontré
Matthew pour la première fois il y a quelques années lors d’une conférence qui avait
lieu en Californie, à Santa Monica je crois. Il travaillait pour XENO100, déjà
avec le xénon. On était dans le même domaine. Quelques temps plus tard, la
collaboration LXZ lui a même proposé de la rejoindre, mais Donnelly a préféré
rester au sein de XENO.
— Et savez-vous pourquoi ?
— Je crois savoir que nous lui
avions proposé une sorte de belle promotion, mais il voulait simplement
continuer ce qu’il avait commencé avec l’équipe de Marsi en restant sourd à
notre offre, peut-être par fidélité…
— Et avez-vous renouvelé votre
offre ultérieurement ?
— Non, pas à ma connaissance. On
s’est résolu à développer nos systèmes d’ultra-purification sans ses compétences.
Tant mieux pour XENO1000, et tant pis pour nous… C’est grâce à lui que XENO1000
peut atteindre des niveaux de pureté du xénon inédits. Mais je dois dire qu’on
ne doit pas être loin avec notre propre système…
— Vous vous fournissez chez
Grüber&Thorp pour votre xénon ? avait demandé Hooper
— Oui c’est ça, c’est le meilleur
xénon que l’on puisse acheter aujourd’hui, en termes de pureté radioactive,
j’entends. Mais bon, c’est encore insuffisant pour nous, comme pour les autres
expériences.
— Vous avez quand-même démarché
d’autres fournisseurs ?
— Oui, un autre, Johnson Ltd, mais
leur qualité était moindre, pour un prix presque équivalent, alors…
— Savez-vous où se fournit
XENO1000 ?
— Oui bien sûr, ce n’est pas un
secret, c’est une information qui est publique… et c’est logique en même temps
parce qu’eux comme nous ont besoin du meilleur gaz sur le marché… Donc eux
aussi achètent chez Grüber&Thorp.
— Même avec un système
d’ultra-purification très performant, il ne serait pas possible d’utiliser à la
base un xénon de moins bonne qualité, pour le purifier ensuite soi-même ?
— Je ne connais pas en détail le
système qu’a développé Donnelly, mais je ne crois pas que ce soit possible
connaissant la qualité du gaz de Johnson Ltd.
— Et avec le xénon des russes de
Gazkron Fluids ?
— … Je ne sais pas… Nous n’avons
aucune relation avec Gazkron. Je ne connais pas ce qu’ils parviennent à
obtenir, mais je ne pense pas du tout que ce soit exploitable.
Bob Fincher avait laissé trois
bonnes secondes avant de répondre à Hooper. L’agent du FBI nota que l’intonation
de sa voix avait légèrement changé lorsqu’il avait évoqué Gazkron Fluids.
— Pourquoi ? continuait Hooper.
— Les russes liquéfient leur gaz en
Russie, et vous le savez peut-être, les niveaux de radioactivité en Russie sont
très élevés. Il persiste beaucoup de krypton radioactif un peu partout à cause
de Tchernobyl et de leurs centrales vieillissantes… Et pour tout vous dire, on
n’aime pas trop les russes par ici...
— Oui, je comprends, avait
acquiescé Hooper.
— Connaissez-vous d’autres membres
de XENO1000 qui travaillaient aux côtés de Matthew Donnelly ?
— Non, j’ai dû en rencontrer
quelques-uns dans des conférences, je présume. Mais je ne pourrais pas citer
leur nom… J’avais vu Donnelly une fois qui était avec une grande brune, une
italienne qui travaillait avec lui au LNGS, une très jolie jeune femme. Il y en
a qui ont de la chance…
— Oui…, qui avaient de la chance…
reprit Hooper.
— Oui… c’est ce que je voulais
dire… Enfin, ceux qui travaillent avec elle aujourd’hui ont toujours cette
chance… et je crois savoir qu’elle est très talentueuse.
— Pensez-vous que la disparition de
Matthew Donnelly peut durablement handicaper l’équipe qu’il avait formée autour
de son purificateur isotopique ? avait demandé Hooper.
— Certainement, dans la situation
où ils sont, perdre le concepteur de leur machine est forcément douloureux,
même si je ne doute pas qu’ils parviennent à s’en sortir, peut-être en
recrutant de nouvelles forces ?...
Hooper cliqua sur le bouton STOP du
lecteur de flux. C’était cette fameuse phrase qu’avait prononcée Fincher. Il
semblait exactement connaître les soucis que l’équipe de Cristina avait sur
leur purificateur. Comment pouvait-il être au courant ? Hooper nota sur
son calepin le temps écoulé depuis le début de l’enregistrement pour pouvoir y
retourner très vite.
Le lecteur permettait également
d’insérer des balises à des endroits clés du flux, ce que fit Hooper
immédiatement.
Puis son portable se mit à vibrer.
C’était un appel de Cristina.
— Bonjour Tom, j’ai une nouvelle
très importante à te dire…
— Oui ? Je t’écoute.
— Peter m’a menti concernant
les données de Matthew !
— De quoi s’agit-il ?, demanda
Hooper qui ne comprenait pas ce dont parlait Cristina.
— C’est au sujet de la clé USB disparue de
Mat. Il se trouve que je suis tombée par hasard sur une copie de tout le
contenu de cette clé telle qu’elle était en mai 2014, sur le laptop de Peter… Mais
en cherchant à savoir pourquoi il avait ça sur son portable, il m’a juré qu’il
n’avait jamais vu cette copie. En fait, il l’a supprimée, alors que je savais
qu’il l’avait la semaine dernière puisque je lui ai prise…
— Attends ! Il t’a fait croire
qu’il n’avait jamais eu ça sur son portable, alors que tu as la preuve qu’il l’avait
bien eu ? Tu as copié cette copie ?
— Oui…, c’est comme si il a
volontairement caché le fait qu’il avait cette copie sur son portable… Alors
bien sûr, je ne lui ai pas dit que je savais qu’il l’avait il y a une semaine…
Si il m’a caché ça, ça veut dire qu’il ne veut pas que ça se sache, et pourquoi
ça ?...
— Ecoute Cristina, je vais
l’interroger sur ce point. Il est à L’Aquila demain ?
— Oui, on est tous les deux là.
Est-ce que tu auras besoin de moi ?
— Je vais d’abord l’interroger seul
et puis si besoin je vous confronterais tous les deux. Est-ce qu’il y a des
choses sensibles dans ces données ?
— Et comment ! J’y ai jeté un
œil… on y trouve à peu près tout sur les contrats de fourniture de gaz et aussi
plein de données techniques sur le purificateur, en tous cas jusqu’au 24 mai
2014, qui est la date apparemment de la copie vu qu’il n’y a pas de fichiers
plus jeune dans ce dossier…
— Le 24 mai 2014… Est-ce qu’il
s’est passé quelque chose de particulier pour XENO1000 à cette date ?
demanda Hooper à Cristina.
— J’ai déjà regardé dans mon
agenda, ce que je peux dire c’est que cette semaine-là, moi j’étais à Munich
pour une série de réunions techniques avec John. Matthew et Peter eux étaient
tous les deux au LNGS.
— OK. Il faut éclaircir ça au plus
vite. Je vais venir ce soir au Centre pour convoquer Peter Haynes. Merci de
rester discrète surtout…
— Tu peux compter sur moi. Mais
j’ai quand-même du mal à croire que Peter ait fait des choses répréhensibles !
— On le saura très bientôt…
***
Peter
arriva pile à l’heure à laquelle Hooper l’avait convoqué. Le bureau que l’agent
du FBI utilisait au commissariat jouxtait celui de l’inspectrice Alessandra Calzolari. Peter l’avait croisée dans le couloir juste après être
arrivé sur le palier. Il l’avait dévisagée un peu lourdement en la saluant sans
se douter qu’elle serait présente aux côtés de Hooper quelques minutes plus
tard pour son interrogatoire.
Hooper avait
choisi une forme d’interrogatoire de type déstabilisant, en allant directement
au point central d’entrée de jeu.
— Vous savez
pourquoi je vous ai fait venir ici ? commença Hooper.
— Non… pour
avoir des précisions sur Matthew Donnelly ?..
— Pas exactement. Il s’agit de sa clé USB.
— Vous l’avez retrouvée ? répondit
Peter en se redressant.
— Non. Mais
j’aimerais savoir pourquoi vous l’avez copiée le 24 mai 2014.
— … Euh, je …
— Je vous
écoute, poursuivit Hooper.
Tom et
Alessandra le fixaient.
— Je… Oui,
j’ai eu l’occasion de… J’ai eu l’occasion de copier la clé de Matthew…
— Il n’était
pas au courant ?
—
Non. Je … OK… Voilà…, euh… j’avais copié des données pour les transmettre à
quelqu’un.
—
Peut-on savoir qui est ce quelqu’un ? demanda Alessandra avec une voix
très douce, coupant la parole à Tom qui allait poser la même question.
Peter
semblait avoir très chaud malgré l’absence de chauffage dans le bureau.
—
Bob Fincher, le leader de l’expérience LXZ m’avait demandé des informations sur
notre fournisseur de xénon.
— Bob Fincher voulait
avoir des informations sur Grüber&Thorp ?
— Oui, sur les conditions
commerciales qui avaient été négociées, pour pouvoir mieux négocier avec eux de leur côté…
— Vous connaissiez bien
Bob Fincher ? demanda Tom.
— Assez bien, on s’était
rencontré lors d’une conférence où j’avais présenté nos travaux. Puis… Puis il
m’avait également proposé de rejoindre LXZ, et ça n’a pas pu se faire
finalement.
— Vous lui avez envoyé
autre chose que des données commerciales sur le xénon ?
— … Euh… Oui.
— Par exemple ?
— Pas mal de choses…
— Il nous faudrait un peu
plus de détails, sans entrer dans trop de technique bien sûr, ajouta Hooper.
—
Et bien… des dossiers sur notre machine par exemple, ce qu’on avait conçu avec Matthew
et John… Je voulais vraiment ce poste… Je sais que ça ne se fait pas, je le
sais…, mais je voulais montrer à Fincher ce que j’étais capable de faire, vous
comprenez. Je voulais l’impressionner, alors je lui ai tout donné…
—
Vous lui avez donné tout ça à la fin mai 2014 ?
—
Non, un peu plus tard, si je me souviens bien, je lui avais d’abord envoyé les
informations qu’il m’avait demandées sur Grüber&Thorp et quelques temps
après tout le reste, mais il ne me l’avait pas demandé…
—
Sous quelle forme avez-vous transmis ces données ? demanda Alessandra.
—
Fincher m’avait indiqué un serveur ftp. Je pourrais retrouver le lien si vous
le voulez.
—
Tout à fait, nous en aurons besoin, enchaîna Hooper. D’ailleurs, de quand date
votre dernier contact avec Fincher ?
—
Il me tenait au courant de l’avancée du financement que leur groupe attendait
pour ouvrir le poste qu’il me proposait. Je crois que la dernière fois que j’ai
eu des nouvelles, ça devait être quand il m’a annoncé que ça tombait à l’eau
pour cette année, ça devait être en novembre dernier. Je peux retrouver son
mail.
—
Vous avez gardé des mails de Fincher ? demanda Hooper.
—
Oui, je garde tous mes mails.
—
Excellent ! Nous en aurons également besoin.
—
On ne parlait que du poste à pourvoir, pas du reste…
— Mais c’est tout de même
très intéressant, répondit Hooper.
Peter semblait réellement
soulagé d’avoir tout dit à Tom Hooper et Alessandra Calzolari. Et avant d’être
remercié par les policiers, Peter ajouta :
— Est-ce que je pourrais
vous demander une faveur ?
— Oui ?
—
Serait-ce possible que vous ne disiez pas aux membres de XENO1000 que j’ai transmis
des données confidentielles à LXZ ?
Hooper
et Alessandra se regardèrent, puis se firent un signe d’acquiescement. Hooper
prit la parole :
—
Dans l’immédiat, nous n’avons pas d’intérêt particulier à dévoiler ce point à
vos collègues. Mais si cet élément se trouve avoir eu des conséquences dans ce
qui est arrivé à Matthew Donnelly, il est évident que cela fera partie de
l’enquête et sera intégré dans la procédure bien évidemment. Et d’ailleurs, à
mon tour de vous demander une chose : même si c’est quelque chose qui vous
pèse, je vais vous demander pour le moment de ne rien avouer à personne, ni à
vos collègues, ni à personne. Et surtout, ne dites pas à Bob Fincher que vous
nous avez parlé de vos relations. Je vous ferai signe quand vous pourrez
vous-même le dire à vos amis.
— D’accord... Merci…
Une
fois le jeune physicien sorti du bureau, Hooper fit signe à Alessandra
d’approcher de l’ordinateur, puis il lança son lecteur de fichier audio en
cliquant sur une balise rouge, on entendit la voix de Hooper suivie de celle de
Fincher :
— Connaissez-vous d’autres membres
de XENO1000 qui travaillaient aux côtés de Matthew Donnelly ?
—
Non, j’ai dû en rencontrer quelques-uns dans des conférences, je présume. Mais
je ne pourrais pas citer leur nom…
Hooper
se tourna vers Alessandra :
—
Qu’est-ce que vous dites de ça, hein ?
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