Chapitre 17


Hooper avait placé son casque sur sa tête pour écouter les moindres variations d’intonation dans la voix de Bob Fincher. L’enregistrement durait une heure trente-six exactement. Fincher avait accepté sans broncher que l’agent du FBI enregistre ses réponses.   
— Connaissiez-vous Matthew Donnelly, de l’expérience XENO1000 ?
— Oui, je l’ai croisé à quelques reprises. Toute la communauté a été profondément choquée quand on a appris ce qui s’était passé au LNGS. C’est quelque chose d’inimaginable… J’ai rencontré Matthew pour la première fois il y a quelques années lors d’une conférence qui avait lieu en Californie, à Santa Monica je crois. Il travaillait pour XENO100, déjà avec le xénon. On était dans le même domaine. Quelques temps plus tard, la collaboration LXZ lui a même proposé de la rejoindre, mais Donnelly a préféré rester au sein de XENO.
— Et savez-vous pourquoi ?
— Je crois savoir que nous lui avions proposé une sorte de belle promotion, mais il voulait simplement continuer ce qu’il avait commencé avec l’équipe de Marsi en restant sourd à notre offre, peut-être par fidélité…
— Et avez-vous renouvelé votre offre ultérieurement ?
— Non, pas à ma connaissance. On s’est résolu à développer nos systèmes d’ultra-purification sans ses compétences. Tant mieux pour XENO1000, et tant pis pour nous… C’est grâce à lui que XENO1000 peut atteindre des niveaux de pureté du xénon inédits. Mais je dois dire qu’on ne doit pas être loin avec notre propre système…
— Vous vous fournissez chez Grüber&Thorp pour votre xénon ? avait demandé Hooper
— Oui c’est ça, c’est le meilleur xénon que l’on puisse acheter aujourd’hui, en termes de pureté radioactive, j’entends. Mais bon, c’est encore insuffisant pour nous, comme pour les autres expériences.
— Vous avez quand-même démarché d’autres fournisseurs ?
— Oui, un autre, Johnson Ltd, mais leur qualité était moindre, pour un prix presque équivalent, alors…
— Savez-vous où se fournit XENO1000 ?
— Oui bien sûr, ce n’est pas un secret, c’est une information qui est publique… et c’est logique en même temps parce qu’eux comme nous ont besoin du meilleur gaz sur le marché… Donc eux aussi achètent chez Grüber&Thorp.
— Même avec un système d’ultra-purification très performant, il ne serait pas possible d’utiliser à la base un xénon de moins bonne qualité, pour le purifier ensuite soi-même ?
— Je ne connais pas en détail le système qu’a développé Donnelly, mais je ne crois pas que ce soit possible connaissant la qualité du gaz de Johnson Ltd.
— Et avec le xénon des russes de Gazkron Fluids ?
— … Je ne sais pas… Nous n’avons aucune relation avec Gazkron. Je ne connais pas ce qu’ils parviennent à obtenir, mais je ne pense pas du tout que ce soit exploitable.
Bob Fincher avait laissé trois bonnes secondes avant de répondre à Hooper. L’agent du FBI nota que l’intonation de sa voix avait légèrement changé lorsqu’il avait évoqué Gazkron Fluids.
— Pourquoi ?  continuait Hooper.
— Les russes liquéfient leur gaz en Russie, et vous le savez peut-être, les niveaux de radioactivité en Russie sont très élevés. Il persiste beaucoup de krypton radioactif un peu partout à cause de Tchernobyl et de leurs centrales vieillissantes… Et pour tout vous dire, on n’aime pas trop les russes par ici...
— Oui, je comprends, avait acquiescé Hooper.  
— Connaissez-vous d’autres membres de XENO1000 qui travaillaient aux côtés de Matthew Donnelly ?
— Non, j’ai dû en rencontrer quelques-uns dans des conférences, je présume. Mais je ne pourrais pas citer leur nom… J’avais vu Donnelly une fois qui était avec une grande brune, une italienne qui travaillait avec lui au LNGS, une très jolie jeune femme. Il y en a qui ont de la chance…
— Oui…, qui avaient de la chance… reprit Hooper.
— Oui… c’est ce que je voulais dire… Enfin, ceux qui travaillent avec elle aujourd’hui ont toujours cette chance… et je crois savoir qu’elle est très talentueuse.
— Pensez-vous que la disparition de Matthew Donnelly peut durablement handicaper l’équipe qu’il avait formée autour de son purificateur isotopique ? avait demandé Hooper.
— Certainement, dans la situation où ils sont, perdre le concepteur de leur machine est forcément douloureux, même si je ne doute pas qu’ils parviennent à s’en sortir, peut-être en recrutant de nouvelles forces ?...

Hooper cliqua sur le bouton STOP du lecteur de flux. C’était cette fameuse phrase qu’avait prononcée Fincher. Il semblait exactement connaître les soucis que l’équipe de Cristina avait sur leur purificateur. Comment pouvait-il être au courant ? Hooper nota sur son calepin le temps écoulé depuis le début de l’enregistrement pour pouvoir y retourner très vite.
Le lecteur permettait également d’insérer des balises à des endroits clés du flux, ce que fit Hooper immédiatement.
Puis son portable se mit à vibrer. C’était un appel de Cristina.
— Bonjour Tom, j’ai une nouvelle très importante à te dire…
— Oui ? Je t’écoute.
— Peter m’a menti concernant les données de Matthew !
— De quoi s’agit-il ?, demanda Hooper qui ne comprenait pas ce dont parlait Cristina.
 — C’est au sujet de la clé USB disparue de Mat. Il se trouve que je suis tombée par hasard sur une copie de tout le contenu de cette clé telle qu’elle était en mai 2014, sur le laptop de Peter… Mais en cherchant à savoir pourquoi il avait ça sur son portable, il m’a juré qu’il n’avait jamais vu cette copie. En fait, il l’a supprimée, alors que je savais qu’il l’avait la semaine dernière puisque je lui ai prise…
— Attends ! Il t’a fait croire qu’il n’avait jamais eu ça sur son portable, alors que tu as la preuve qu’il l’avait bien eu ? Tu as copié cette copie ?
— Oui…, c’est comme si il a volontairement caché le fait qu’il avait cette copie sur son portable… Alors bien sûr, je ne lui ai pas dit que je savais qu’il l’avait il y a une semaine… Si il m’a caché ça, ça veut dire qu’il ne veut pas que ça se sache, et pourquoi ça ?...
— Ecoute Cristina, je vais l’interroger sur ce point. Il est à L’Aquila demain ?
— Oui, on est tous les deux là. Est-ce que tu auras besoin de moi ?
— Je vais d’abord l’interroger seul et puis si besoin je vous confronterais tous les deux. Est-ce qu’il y a des choses sensibles dans ces données ?
— Et comment ! J’y ai jeté un œil… on y trouve à peu près tout sur les contrats de fourniture de gaz et aussi plein de données techniques sur le purificateur, en tous cas jusqu’au 24 mai 2014, qui est la date apparemment de la copie vu qu’il n’y a pas de fichiers plus jeune dans ce dossier…
— Le 24 mai 2014… Est-ce qu’il s’est passé quelque chose de particulier pour XENO1000 à cette date ? demanda Hooper à Cristina.
— J’ai déjà regardé dans mon agenda, ce que je peux dire c’est que cette semaine-là, moi j’étais à Munich pour une série de réunions techniques avec John. Matthew et Peter eux étaient tous les deux au LNGS.
— OK. Il faut éclaircir ça au plus vite. Je vais venir ce soir au Centre pour convoquer Peter Haynes. Merci de rester discrète surtout…
— Tu peux compter sur moi. Mais j’ai quand-même du mal à croire que Peter ait fait des choses répréhensibles !
— On le saura très bientôt…

***

Peter arriva pile à l’heure à laquelle Hooper l’avait convoqué. Le bureau que l’agent du FBI utilisait au commissariat jouxtait celui de l’inspectrice Alessandra Calzolari. Peter l’avait croisée dans le couloir juste après être arrivé sur le palier. Il l’avait dévisagée un peu lourdement en la saluant sans se douter qu’elle serait présente aux côtés de Hooper quelques minutes plus tard pour son interrogatoire.
Hooper avait choisi une forme d’interrogatoire de type déstabilisant, en allant directement au point central d’entrée de jeu.
— Vous savez pourquoi je vous ai fait venir ici ? commença Hooper.
— Non… pour avoir des précisions sur Matthew Donnelly ?..
— Pas exactement. Il s’agit de sa clé USB.
— Vous l’avez retrouvée ? répondit Peter en se redressant.
— Non. Mais j’aimerais savoir pourquoi vous l’avez copiée le 24 mai 2014.
— … Euh, je …
— Je vous écoute, poursuivit Hooper.
Tom et Alessandra le fixaient.
— Je… Oui, j’ai eu l’occasion de… J’ai eu l’occasion de copier la clé de Matthew…
— Il n’était pas au courant ?
— Non. Je … OK… Voilà…, euh… j’avais copié des données pour les transmettre à quelqu’un.
— Peut-on savoir qui est ce quelqu’un ? demanda Alessandra avec une voix très douce, coupant la parole à Tom qui allait poser la même question.
Peter semblait avoir très chaud malgré l’absence de chauffage dans le bureau.
— Bob Fincher, le leader de l’expérience LXZ m’avait demandé des informations sur notre fournisseur de xénon.
— Bob Fincher voulait avoir des informations sur Grüber&Thorp ?
— Oui, sur les conditions commerciales qui avaient été négociées, pour pouvoir  mieux négocier avec eux de leur côté…
— Vous connaissiez bien Bob Fincher ? demanda Tom.
— Assez bien, on s’était rencontré lors d’une conférence où j’avais présenté nos travaux. Puis… Puis il m’avait également proposé de rejoindre LXZ, et ça n’a pas pu se faire finalement.
— Vous lui avez envoyé autre chose que des données commerciales sur le xénon ?
— … Euh… Oui.
— Par exemple ?
— Pas mal de choses…
— Il nous faudrait un peu plus de détails, sans entrer dans trop de technique bien sûr, ajouta Hooper.
— Et bien… des dossiers sur notre machine par exemple, ce qu’on avait conçu avec Matthew et John… Je voulais vraiment ce poste… Je sais que ça ne se fait pas, je le sais…, mais je voulais montrer à Fincher ce que j’étais capable de faire, vous comprenez. Je voulais l’impressionner, alors je lui ai tout donné…
— Vous lui avez donné tout ça à la fin mai 2014 ?
— Non, un peu plus tard, si je me souviens bien, je lui avais d’abord envoyé les informations qu’il m’avait demandées sur Grüber&Thorp et quelques temps après tout le reste, mais il ne me l’avait pas demandé…
— Sous quelle forme avez-vous transmis ces données ? demanda Alessandra.
— Fincher m’avait indiqué un serveur ftp. Je pourrais retrouver le lien si vous le voulez.
— Tout à fait, nous en aurons besoin, enchaîna Hooper. D’ailleurs, de quand date votre dernier contact avec Fincher ?
— Il me tenait au courant de l’avancée du financement que leur groupe attendait pour ouvrir le poste qu’il me proposait. Je crois que la dernière fois que j’ai eu des nouvelles, ça devait être quand il m’a annoncé que ça tombait à l’eau pour cette année, ça devait être en novembre dernier. Je peux retrouver son mail.
— Vous avez gardé des mails de Fincher ? demanda Hooper.
— Oui, je garde tous mes mails.
— Excellent ! Nous en aurons également besoin.
— On ne parlait que du poste à pourvoir, pas du reste…
— Mais c’est tout de même très intéressant, répondit Hooper.
Peter semblait réellement soulagé d’avoir tout dit à Tom Hooper et Alessandra Calzolari. Et avant d’être remercié par les policiers, Peter ajouta :
— Est-ce que je pourrais vous demander une faveur ?
— Oui ?
— Serait-ce possible que vous ne disiez pas aux membres de XENO1000 que j’ai transmis des données confidentielles à LXZ ?
Hooper et Alessandra se regardèrent, puis se firent un signe d’acquiescement. Hooper prit la parole :
— Dans l’immédiat, nous n’avons pas d’intérêt particulier à dévoiler ce point à vos collègues. Mais si cet élément se trouve avoir eu des conséquences dans ce qui est arrivé à Matthew Donnelly, il est évident que cela fera partie de l’enquête et sera intégré dans la procédure bien évidemment. Et d’ailleurs, à mon tour de vous demander une chose : même si c’est quelque chose qui vous pèse, je vais vous demander pour le moment de ne rien avouer à personne, ni à vos collègues, ni à personne. Et surtout, ne dites pas à Bob Fincher que vous nous avez parlé de vos relations. Je vous ferai signe quand vous pourrez vous-même le dire à vos amis.
— D’accord... Merci…
Une fois le jeune physicien sorti du bureau, Hooper fit signe à Alessandra d’approcher de l’ordinateur, puis il lança son lecteur de fichier audio en cliquant sur une balise rouge, on entendit la voix de Hooper suivie de celle de Fincher :
— Connaissez-vous d’autres membres de XENO1000 qui travaillaient aux côtés de Matthew Donnelly ?

— Non, j’ai dû en rencontrer quelques-uns dans des conférences, je présume. Mais je ne pourrais pas citer leur nom…
Hooper se tourna vers Alessandra :
— Qu’est-ce que vous dites de ça, hein ?

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